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Aussi loin que possible
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Samaële Steiner

TOUTES LES DEUX. — Nous on va s'en aller d'ici. C'est décidé depuis longtemps mais depuis hier c'est vraiment décidé. On a appris à regarder le lac et maintenant on se dit que ce qui est de l'autre côté est vraiment la solution, que ce sera toujours mieux qu'ici et qu'il faut partir parce que c'est la seule façon de refuser la fête, dans quelques jours. Et que parce qu'ils sont tous en train de préparer la fête, on a une chance de passer inaperçues. Et il faut gagner du temps.

On est dans une ville au bord d'un lac. Tout commence par une photo de groupe. Comme chaque année au printemps aura lieu une fête, devenue presque rituelle. Sur la petite plage au bord du lac les jeunes filles de 13 ans, par groupes, se présenteront dans les costumes de sirènes qu'elles ont mis plusieurs mois à confectionner. La photo doit être prise pour immortaliser chaque groupe de sirènes, quelques jours avant la fête. Costumes terminés et grands sourires. Le photographe ne vient pas, les langues se délient, elles parlent de la fête, de leur hâte et de leurs peurs. Une sensation d'être prisonnière de quelque chose ici.

 

Deux filles décident de quitter la ville, de traverser le lac en se disant que de l'autre côté c'est forcément mieux. Elles s'éloignent, en radeau, sous le regard de quatre de leurs camarades de classe qui suivent la scène depuis la cour de récréation.

 

On assiste à travers le regard de celles qui restent, au départ des deux fugitives. Le lac est grand et rapidement elles ne sont plus qu'un point. Sans se rendre compte de ce qui est en train de se passer, les 4 filles restantes, improvisant face à la caméra de leurs téléphones, se mettent à relater ce qui se déroule sous leurs yeux. Rapidement l'imagination prend le pas et elles inventent collectivement l'arrivée de leurs camarades de l'autre côté du lac.

 

Quand elles reprennent leur souffle, elles se rendent compte qu'elles ont eu 15 000 vues en 10 minutes, que ce qui était d'abord un jeu pour passer le temps est devenu bien plus sérieux. Se pose alors à elles la question : une fois tout cela imaginé collectivement, une fois tant de choses comprises en si peu de temps, peuvent-elles encore rester ou doivent-elles, elles aussi, trouver un moyen pour traverser le lac ?

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